Le business du home staging
Popularisé par des émissions de télé, le relooking d’un bien avant de le vendre est devenu très fréquent dans l’immobilier.
C’EST À CE MOMENT PRÉCIS QUE L’ON MESURE LE PROFESSIONNALISME. « ET CE TABLEAU, VOUS L’EMPORTEZ ? » LE TON EST NEUTRE, L’AIR DÉGAGÉ, COMME SI LA RÉPONSE IMPORTAIT PEU. ON SE DOUTE POURTANT QU’UN PAN DE MUR BLANC NE SERAIT PAS DU LUXE, DANS CE SALON QUI FAIT AUSSI CUISINE, SALLE DE JEU, BUREAU ET STUDIO DE MUSIQUE. « OUI, OUI », L’ABSTRACTION VIOLACÉE PARTIRA AVEC SA PROPRIÉTAIRE.
Alexia Rhodier sourit. La décoratrice d’intérieur est venue poser un diagnostic de home staging, fournir les clés d’une mise en valeur de l’appartement avant sa vente. Sa cliente, une trentenaire sur talons compensés bientôt installée au Canada pour affaires, et moins d’impôts, a compris que son F3 quasi neuf de proche banlieue ne déclenchait pas le coup de cœur suffisant pour une vente rapide à prix un tantinet surévalué. En tombant sur la désormais culte émission « Maisons à vendre », animée par Stéphane Plaza sur M6, cette créatrice de start-up a eu la révélation home staging.
Deux clics sur Internet plus tard, elle trouvait dans son quartier une professionnelle indépendante qui, pour 390 euros les deux heures, pouvait suggérer toutes les améliorations à apporter, et, pour 3 000 euros supplémentaires, les mettre en œuvre dans la foulée. Inventé aux Etats-Unis dans les années 1970, ce marketing décoratif prospère depuis 2008 sur le terreau de la crise immobilière. Désormais plus nombreux que les acheteurs, les vendeurs doivent convaincre.
LA « DIFFICULTÉ À SE PROJETER »
Au printemps, alors même que des agences immobilières ferment partout, Stéphane Plaza lançait un nouveau réseau national de franchises – 3,2 millions investis, avec M6 et les deux fondateurs de Laforêt immobilier. L’animateur voit grand, table sur 500 ouvertures d’ici 2020. En poussant la porte de Stéphane Plaza immobilier, les clients-téléspectateurs s’attendent à entendre parler de home staging. Le « chevalier blanc qui vole au secours des propriétaires découragés », dixit la télé, les a familiarisés avec la « difficulté à se projeter » de l’acquéreur trentenaire plongé en intérieur rustique.
« Les gens s’endettent sur vingt ans, ils ont besoin d’être rassurés, croit-il. Et comme les biens sont chers, ils doivent être impeccables, on doit pouvoir s’y installer sans travaux. » Deux grandes franchises de home stagers (Avéo, Home staging experts) et une centaine d’indépendants captaient déjà cette demande en expansion. Des partenariats se sont désormais noués avec les grands réseaux immobiliers, conscients qu’offrir cette mise en beauté d’avant-vente permettait de récupérer des mandats exclusifs.
En silence, cahier en mains, Alexia poursuit son repérage minutieux dans le trois-pièces. Il faudra des suspensions pour habiller toutes ces ampoules nues, un coup de peinture sur les premières fissures apparues aux murs, un portant design à la place de la grosse penderie… Dans le salon, où tout est carré, on installera une petite table ronde et on remisera le piano numérique pour fluidifier la circulation, tout en ajoutant rideaux et coussins pour réchauffer le tout. On placera quelques serviettes pliées sur les étagères de la salle de bains pour que passe ce message subliminal : vous êtes attendus. « Et côté tiroirs de la cuisine, tout fonctionne ? interroge-t-elle, tentant d’en ouvrir un. Un bouton mal fixé, et le visiteur percevra l’ensemble comme bringuebalant… »
“UN BON HOME STAGING NE SE VOIT PAS. ET ON NE DEMANDE PAS AUX PROPRIÉTAIRES SI LES MODIFICATIONS ENVISAGÉES LEUR PLAISENT. LE BUT EST QUE CELA CORRESPONDE À LA FAÇON DE VIVRE DU PLUS GRAND NOMBRE”,FRANCKY BOISSEAU, HOME STAGING EXPERTS
Une manière de cacher la misère ? Parfois un peu. Mais il s’agit surtout de mettre en valeur l’existant, d’exhiber les mètres carrés, la luminosité, dans une harmonie décorative suffisamment neutre pour que rien ne détourne l’attention du potentiel de l’appartement. Formée aux Etats-Unis, la home stageuseYasmine Medicis avait l’habitude de « dresser la table de la salle à manger comme pour la communion du petit ». Elle a cessé. « Contrairement aux Américains qui aiment qu’on leur en mette plein la vue, les Français se demandent ce qu’on leur cache, si on ne fait pas ça pour leur vendre plus cher. » « Un bon home staging ne se voit pas, appuie Francky Boisseau, de Home staging experts. Et on ne demande pas aux propriétaires si les modifications envisagées leur plaisent. Le but est que cela corresponde à la façon de vivre du plus grand nombre. »
Inventé aux Etats-Unis dans les années 1970, ce marketing décoratif prospère depuis 2008 sur le terreau de la crise immobilière. MYCHELE DANIAU/AFP
Rien que du bon sens, finalement. De la psychologie de l’acheteur appliquée à l’immobilier. A écouter les tenants de ce nouveau métier qu’aucune formation d’Etat ne valide encore – ce qui peut laisser cours à quelques escroqueries –, on se dit qu’il n’est pas besoin d’eux pour désencombrer, dépersonnaliser et donner un coup de frais.
Certes, mais l’immobilier échappe étrangement au bon sens, constatent les home stagers. Trop d’affect entre en jeu. En France, où l’on déménage bien moins fréquemment qu’aux Etats-Unis, l’habitation symbolise à ce point la famille que la transformer en appartement témoin équivaut à une trahison. Ceux-là mêmes qui ont le réflexe d’ôter de leur voiture le siège bébé et ses miettes de gâteau avant de la vendre ouvrent à la visite leur appartement dans son « jus » le plus quotidien : toilettes douteuses, dressing en bazar, étendoir à linge au milieu du salon…
UNE “GARANTIE VENDU EN MOINS DE TROIS MOIS”
Le home stager intervient aussi lorsque les biens immobiliers sont présentés vides à la vente : avec des meubles qu’il loue, parfois gonflables ou en carton, il redonne des repères visuels permettant de saisir les dimensions. Quand bien même l’appartement vaut 3 millions d’euros… comme ceux dont Sandrine Kretz, de l’agence Kretz & partners, fait « remeubler les pièces maîtresses, après départs à l’étranger pour raisons fiscales ». « Si nous avons l’exclusivité de la vente, dit-elle, nous pouvons prendre en charge la location de 10 000 euros de meubles et objets design pour six mois. Il nous arrive aussi de conseiller l’installation d’une cave à vin ou d’une piscine sur la terrasse. Ce n’est rien, 50 000 euros de dépenses, quand on s’apprête à vendre un bien 200 000 euros de plus ».
Et le résultat est garanti, promettent ces pros du relooking immobilier. Qui surenchérissent dans les exemples de maisons vieillottes en vente depuis un an « parties en une visite et au prix »avec peinture taupe et rideaux en lin. Chez Avéo, réseau de franchises créé à Saint-Etienne en 2008, on va même jusqu’à proposer une « garantie vendu en moins de trois mois », contre environ cent trente jours en moyenne nationale. « Et la négociation du prix de vente du bien ne sera que de 3 % en moyenne après notre intervention, contre 10 % en règle générale », assure Sylvain Rey, le patron.
C’est ce qu’explique à tous ses proches Jean-Philippe Causse, dont la maison mitoyenne, en première couronne toulousaine, s’est vendue en deux visites 20 000 euros plus cher qu’espéré. Pour un quart de cette somme, la décoratrice Katia Janowski, du réseau Home staging experts, « lui avait donné une âme, une vie », se souvient-il. « Au départ, je me disais que les travaux ne servaient à rien, qu’on ne vendrait pas plus cher. Pourtant, cela a été d’une efficacité redoutable. »
Dans les agences immobilières, on ne doute guère de cette plus-value. Demeure néanmoins la peur de vexer le client qui, à entendre le mot home staging, revoit immédiatement les intérieurs hideux relookés à la télé. C’est si moche que ça, chez moi ?
source: le monde.fr